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« La langue est l’un des vecteurs les plus forts de notre identité et culture »

Minsili Zanga interview par Joseph Mbarga (Mbarga Books)

« La langue est l’un des vecteurs les plus forts de notre identité et culture »

Interview Minsili ZANGA
SOURCE :
©Mbargabooks.com
Mbarga Books : • Vous venez de publier un recueil de nouvelles plusieurs années après votre dernier livre. Pourquoi cette longue parenthèse en dehors de l’écriture littéraire ?

Minsili Zanga : La principale raison est que j’étais engagée dans d’autres projets très prenants mais où mon goût de l’écriture pouvait s’exprimer, même si c’était différemment. J’ai ainsi pu explorer tous les méandres de l’écriture journalistique et de la direction éditoriale à travers un magazine féminin et des sites Internet que j’avais mis sur pied. L’autre raison est que le monde de l’édition classique ne me convenait pas tout à fait. Ayant accompli le voeu de presque tout écrivain débutant (se faire éditer), disons que j’étais moins stressée et plus à même d’explorer d’autres voies.

M.B. : • Parlez-nous de votre dernier recueil de nouvelles Azania, et dites-nous comment vous décidez d’explorer des thématiques précises ou de choisir les personnages qui vont conduire vos histoires. 

« Azania » est un ensemble de 6 histoires, celles de femmes et des hommes (jeunes et moins jeunes) dans un moment critique de leur vie, joyeux ou non. Comment le vivent-ils et surtout, comment s’en sortent-ils ? Pour y répondre, j’ai voulu une certaine continuité dans le recueil déjà parce que toutes les histoires se déroulent en totalité ou en partie à Ongola Ewondo (Yaoundé). Ensuite parce qu’entre ces nouvelles, il existe des liens. Au lecteur de les trouver au fur et à mesure.

Pour le choix des thématiques, il tient plus de l’intuitif, de ce que mon imagination a envie de mettre en avant à un instant T. La nouvelle éponyme est très parlante à ce sujet (Azania) en rassemblant tous les ingrédients du recueil : suspense, loyauté, trahison, confiance, espoir. J’aime cette possibilité que donne l’écriture de disséquer la psyché humaine via des situations de tous les jours. Pour le choix des personnages, si au début j’ai une idée assez claire, elle peut évoluer au cours de l’écriture et des personnages secondaires naître au détour d’une phrase, m’obligeant à les étoffer voire à prendre une autre direction que l’histoire de départ.

Azania (recueil de nouvelles) Minsili Zanga Mbarga - Librinova juillet 2020
M.B. : • L’attachement à votre langue maternelle transparaît tout au long des histoires racontées. Avez-vous besoin de convoquer cette langue pour poser l’acte d’écrire ?

Pour moi, la langue est l’un des vecteurs les plus forts de notre identité et culture, et j’ai toujours été très attachée à la mienne, l’Ewondo. J’aime sa beauté, sa poésie, son humour. Elle fait partie intégrante de mon processus d’écriture. Lorsque par exemple je mets en mots mes personnages dans Ongola (Yaoundé), je les ai déjà fait vivre en Ewondo ! En fait je fais des allers-retour entre la langue Beti et le français, souvent je traduis juste la langue en français (rires). Mon plus grand désir (et défi) serait d’ailleurs d’écrire toute une fiction en Ewondo. En attendant, je le fais déjà dans mes textes poétiques, même si pour le moment je les distille à compte-gouttes (rires).

M.B. : • On sent à la lecture de vos nouvelles que vous maîtrisez bien le genre. Quels sont les auteurs de nouvelles qui vous ont particulièrement marqués ? 

Merci de l’appréciation, car je ne me suis jamais considérée comme une spécialiste de la nouvelle. Côté auteurs, j’ai été plus marquée par des ouvrages que par un écrivain en particulier. Je peux citer « Les Bimanes « du Camerounais Severin Cecile Abega. Ce recueil découvert au collège reste ma référence dans ce domaine. Côté occidental, étant assez portée sur la SF, j’ai un certain penchant pour les nouvelles d’auteurs comme Asimov dont j’adore tout autant les romans. J’aime sa simplicité d’écriture même en parlant de thèmes complexes.

M.B. : • Avez-vous des projets littéraires en cours ? 

En ce moment j’alterne entre l’écriture d’un recueil de poésie en Ewondo et en Français, et celle d’un roman… ou plutôt deux ! Et comme toujours, avec Yaoundé au centre, mais je ne peux en dire plus, patience.

M.B. : • Avec le recul que vous avez et vos diverses expériences, quel regard portez-vous sur l’écosystème littéraire au Cameroun aujourd’hui ? Des conseils pour les auteurs et les autrices compte tenu de ces enjeux ?

J’y vois les mêmes problèmes qu’ailleurs avec cette assertion récurrente : « les Africains ne lisent pas. » Mais, je n’adhère pas totalement à cette pensée. Lorsque je regarde la façon dont certains livres nous ont marqué (Les Bimanes, Trois prétendants, un mari, etc.), je refuse de croire que la lecture d’oeuvres de fiction nous soient aussi pénibles ou indifférentes qu’on s’obstine à le croire.

Je pense que les gens ont besoin d’histoires qui les touchent profondément. Aussi, si conseils à donner aux auteurs et autrices, c’est d’être soi. C’est d’écrire pour (se) raconter et non pour coller à certaines attentes du marché généralement extérieur. Et pour cela, mettre en avant sa singularité avec des histoires singulières. Surtout, aujourd’hui, les nouveaux modes de communication nous donnent l’occasion d’innover, et trouver ainsi des solutions à l’enjeu de la distribution, qui est aussi très important. Je reste convaincu que si marché à développer, c’est d’abord le marché intérieur. Les Africains doivent d’abord écrire pour eux-mêmes. – Source