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Ethiopie : état d’urgence au Tigré, en guerre contre Addis-Abeba

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Ethiopie : état d’urgence au Tigré, en guerre contre Addis-Abeba

Le fédéralisme éthiopien a-t-il du plomb dans l’aile? Addis-Abeba accuse le Tigré d’avoir attaqué des bases militaires fédérales. Selon les autorités fédérales, le Front de libération des Peuples du Tigré (TPLF) a franchi la ligne rouge côté dissidence.

Face à l’escalade, le Premier ministre éthiopien a pris une décision forte. Mercredi 4 novembre, l’état d’urgence a été décrété pour six mois au Tigré.

Azania (recueil de nouvelles) Minsili Zanga Mbarga - Librinova juillet 2020

Opérations armées au Tigré et un état d’urgence qui pourrait s’étendre si besoin

Mercredi 4 novembre, Abiy Ahmed a aussi annoncé le lancement d’opérations militaires contre les autorités du Tigré. Jeudi 5 novembre, les députés Ethiopiens ont suivi leur Premier ministre, et approuvé la mesure d’exception. Tous les députés des deux chambres ont voté à l’unanimité pour l’état d’urgence, une victoire politique pour Abiy Ahmed.

Désormais, le gouvernement fédéral est constitutionnellement autorisé à user de « tous les pouvoirs nécessaires pour protéger la paix et la souveraineté du pays ainsi que maintenir la sécurité publique, la loi et l’ordre » dans le pays. Addis-Abeba a aussi fait savoir que l’état d’urgence pourrait s’étendre hors du Tigré, si nécessaire.

L’Ethiopie : de l’image misérabiliste des années 80, à la puissance fédérale actuelle, mais traversée par des tensions interethniques

En Ethiopie, les peuples majoritaires en termes démographiques sont les Oromo et les Amhara. La minorité tigréenne (environ 6% de la population) est très forte économiquement. Elle menait la coalition ayant emporté le pouvoir de Mengistu Haile Mariam. Celui-ci a dirigé l’Ethiopie de 1977 à 1991, une période trouble où ce pays apparaissait comme l’image de la misère en Afrique. Le « charity business » occidental des années 80 en fera d’ailleurs son ingrédient numéro un.

Pendant près de 30 ans, le TPLF dominera la coalition, au grand dam d’autres communautés comme les Oromo. Ceux-ci, majoritaires, se plaignent de marginalisation depuis l’époque de l’empereur Hailé Sélassié. L’Oromia, leur région, abrite Addis-Abeba, qui a un statut spécial. Entre revendications identitaires et problèmes liés au foncier, les Oromo engageront plusieurs mouvements contestataires, parfois violemment réprimés. Dans leur ligne de mire, les Tigréens accusés de monopoliser les secteurs clés. De son côté, l’Erythrée après une guerre sanglante, réussira à faire sécession.

Malgré ce contexte, l’Ethiopie entame une mue socio-économique, grâce notamment à ses rapports avec la Chine. Aujourd’hui, le pays qui abrite le siège de l’Union africaine, est bien loin de l’Ethiopie misérabiliste des années 80. Toutefois, malgré le recours au fédéralisme, celui-ci n’a pas tout réglé. Surtout en matière de rapports entre communautés.

En 2018, un jeune politicien de 44 ans arrive à la Primature, Abyi Ahmed

Son accession à ce poste est porteur d’espoir, car il fait partie de la communauté Oromo par son père, musulman. Sa mère quant à elle est Amhara, et chrétienne orthodoxe. C’est la première fois dans l’histoire de l’Ethiopie qu’un Oromo accède à un tel niveau de responsabilité.

Un an plus tard, Abyi Ahmed sera d’ailleurs nommé Prix Nobel de la paix. A son tour, le TPLF commence à accuser le gouvernement de marginaliser les Tigréens au sein de la coalition. Puis, le parti quitte la coalition, pour se constituer en parti d’opposition. Août 2020, le TPLF organise des élections régionales, en dépit du veto d’Addis-Abeba.

Pour le TPLF, ces scrutins devaient absolument se tenir, pour éviter un vide juridique car, le mandat du Premier ministre arrivait à sa fin. Du côté d’Addis-Abeba, on évoquait la crise du coronavirus, pour justifier un report de toutes les élections. Pas question pour le TPLF, qui a donc voté, la population du Tigré y participant massivement.

La conséquence : les deux camps se considèrent chacun comme illégitime. Addis-Abeba ira plus loin, en changeant le mode de financement de la région. Le pouvoir fédéral traitera directement avec les pouvoirs locaux, accentuant la scissure avec Mekele, capitale de l’Etat régional du Tigré.

Le Tigré dément avoir attaqué des bases militaires fédérales

Alors qu’Addis-Abeba accuse le Tigré d’avoir attaqué des bases militaires fédérales au Tigré, le TPLF dément. Pour lui, Il est difficile de savoir exactement ce qui se passe au Tigré, le gouvernement fédéral étant avare de détails sur les opérations en cours. Du côté de Mekele, capitale régionale du Tigre, Internet restait coupé jeudi, le téléphone aussi.

« Notre pays est entré dans une guerre qu’il n’avait pas prévue. Cette guerre est honteuse, elle est insensée. Le peuple du Tigré, sa jeunesse et ses forces de sécurité ne devraient pas mourir pour cette guerre inutile. L’Éthiopie est leur pays », a déclaré Birhanu Jula Gelalcha, chef adjoint de l’armée éthiopienne.

Pour Debretsion Gebremichael, président de la région du Tigré, la version est différente. On considère les opérations militaires lancées par Addis-Abeba comme une « invasion. »

« Ce qui a été déclenché contre nous est clairement une guerre, une invasion. C’est une guerre que nous menons pour préserver notre existence », a déclaré jeudi le président de la région du Tigré, devant la presse.

Pour lui, Addis-Abeba agit comme « un gouvernement qui essaie de résoudre, même si ce n’est pas possible, les différends politiques par la force, les armes et la guerre. »

Une guerre en Ethiopie, c’est toute la Corne de l’Est qui se retrouve dans une situation critique. De plus, l’Ethiopie a des rapports tendus avec ses voisins soudanais et égyptiens, à cause de la construction du GERD, le Grand barrage de la Renaissance, sur le Nil bleu.

De même, une Ethiopie déstabilisée, ce serait l’échec d’un fédéralisme ethnique qui malgré les tensions internes, a permis à l’Ethiopie d’amorcer sa mue économique. ©Dzaleu.com M.Z.